Chapitre 3 : Mr Hughes
—
Je suis rentrée! Asu-chan!?
Hazuki Maekawa referma la porte de la maison familiale
derrière elle, retira ses souliers et laissa tomba sa serviette de cours entre
le pied de l'escalier et le seuil de la maison. Ses pieds firent craquer le
parquet alors qu'elle empruntait le couloir pour rejoindre la cuisine. Elle vit
au passage qu'il n'y avait personne dans le salon. Cependant la lumière de la
cuisine semblait allumée.
— Asu-ch…
Elle se tut après avoir ouvert la porte et fit une moue de
déception. Shui-Khan Liu se tourna vers elle, les sourcils froncés. Il était
assis à la table à manger, les doigts sur le clavier d'un ordinateur portable.
Ses cheveux noirs se dressaient sur sa tête comme les pics d'un hérisson.
Hazuki devina à l'odeur de savon qu'il sortait à peine de la douche.
— Ah, ce n'est que toi, dit-elle après avoir enfilé
l'Etemenanki que lui avait rapporté Asuka. Je croyais que mon frère était en
train de prendre son goûter.
— Bonjour, dit formellement Shui-Khan après s'être
subitement relevé. Tu veux peut-être que je te laisse la cuisine?
— Ne te préoccupe pas pour moi. Je vais juste avaler quelque
chose et monter dans ma chambre. De toute façon je pars travailler dans une
demi-heure. Tu peux te rasseoir. Allez!
Le sociopathe chinois de quatorze ans eut un étrange regard
vers sa droite comme s'il élaborait à une stratégie de fuite, puis il finit par
se rasseoir. Ses épaules étaient anormalement perpendiculaires.
— Qu'est-ce que tu fais? Tu envoies un message à tes amis?
demanda-t-elle en ouvrant le frigo.
Elle pesta intérieurement. Asuka avait pillé tous ses
beignets à la fraise. Depuis qu'il était revenu à Osaka, l'espérance de vie des
réserves alimentaires s'alignait sur celle d'un glaçon en plein soleil.
— Je joue aux échecs, répondit simplement Shui-Khan.
— Vraiment? s'étonna Hazuki après s'être rabattue sur un yaourt
aux céréales. Je ne savais pas que tu jouais à ce genre de jeu. Tu es sur un
serveur peut-être?
— Oui…
Shui-Khan Liu n'avait pas la conversation facile. Il était pourtant
hébergé chez les Maekawa depuis plus d'une semaine. Asuka l'avait ramené dans
la demeure familiale du jour au lendemain et avait demandé à son père de
l'autoriser à le garder à la maison. Selon ses explications, Shui-Khan s'était
brouillé avec son dictateur de père, l'avait renié en public en crachant à ses
pieds, puis s'était retrouvé à la porte de sa propre maison. C'est ainsi
qu'Asuka avait utilisé son pouvoir pour aller le récupérer à Pékin. L'organisation
qui encadrait les élus avait été prévenue et avait donné son accord, suite à
une longue conversation avec Kenzo Maekawa, leur père. Une dame américaine
nommée Ella Jones avait d'ailleurs fait virer trois cent ou quatre cent mille yens
sur le compte bancaire du paternel à titre de compensation. Dès ce moment,
Kenzo Maekawa avait affiché un sourire sur lequel le temps ou la fatigue
musculaire n'avaient pas d'emprise. Le frigo était toujours plein, Hazuki avait
eu droit aux bottes qu'elle réclamait depuis deux mois et Asuka bénéficiait des
largesses de son père dans le bar du quartier. Quant à Shui-Khan, il était
traité comme l'enfant prodige de la famille. Toutefois, et en dépit de l'envoi
express par GLOW de deux Etemenanki, "Shui-chan" parlait le moins
possible. Il se contentait des politesses nécessaires, ne s'exprimait que
lorsque l'on lui posait une question et suivait Asuka tel le chiot recueilli
qui vient de se trouver un maître.
Hazuki avait de la peine et de l'empathie pour Shui-Khan, à
peine plus jeune qu'elle de deux ans. Malgré ses bravades, le garçon vivait
sans doute très mal le fait d'avoir été expulsé de son foyer par ses propres
parents. Il était même inconcevable que des parents dignes de ce nom puissent
accomplir un tel acte de cruauté. Etait-ce ainsi que les choses se passaient chez
les chinois? Apparemment la mère de Shui-Khan avait versé quelques larmes mais
n'avait même pas osé s'interposer entre son père et lui. Du fait, Hazuki se
faisait aussi agréable que possible à son égard.
— Ha… Quel bon à rien celui-là, siffla Shui-Khan en cliquant
frénétiquement avec la souris. Il faudrait vraiment qu'ils délimitent mieux les
classes de niveau.
Réalisant qu'il avait parlé à voix haute, il regarda
furtivement Hazuki puis se remit à pianoter sur le clavier comme si de rien
n'était.
— Est-ce que Asuka est dans sa chambre? C'est rare de ne pas
vous voir ensemble.
— Il m'a dit qu'il allait faire un tour au château voir
votre père. Il rentrera dans une heure et demie au plus tard, s'il respecte son
engagement.
— Ah… Je suis surprise, il m'avait expliqué que vous deviez
passer le plus de temps possible à vous entraîner. Je croyais que vous étiez
dans les montagnes du matin jusqu'au soir… comme ces héros de mangas.
Shui-Khan déglutit.
— Je ne sais pas pourquoi Asuka voulait qu'on aille s'entraîner
dans les montagnes mais j'ai refusé. Nous nous entraînons ailleurs. Dès que
nous sommes revenus de notre séance Asuka a parlé d'aller remplacer ton père un
moment.
— Oh, c'est vrai! Mon père doit aller récupérer sa voiture
au garage! se rappela Hazuki. Il a dû demander à Asuka de prendre son poste le
temps qu'il revienne. Je ne sais pas s'il te l'a dit mais mon frère a pas mal
travaillé au château avant de partir pour l'Europe.
Elle prit son yaourt et une cuillère.
— Je vais aller manger dans ma chambre. Tu as besoin de
quelque chose?
— Ça ira… merci.
— N'hésite pas à te servir dans le frigo si tu as faim, en
attendant qu'Asuka s'occupe du dîner. Peut-être qu'il commandera juste quelque
chose s'il est fatigué. En tout cas je finis le travail tard aujourd'hui et mon
père aussi, tu seras donc seul à la maison. Ça
ne te dérange pas?
Shui-Khan écarquilla les yeux d'un air déconcerté.
— Désolée…, s'excusa Hazuki. J'oublie parfois que tu n'es
pas un adolescent comme les autres. Notre maison est aussi bien protégée avec
toi que s'il y avait un chien de garde.
— Ah…, fit Shui-Khan d'un air abattu.
— PARDON! PARDON! Je ne voulais pas dire que tu étais un
chien de garde Shui-Khan! Je voulais juste faire référence à tes pouvoirs et…
— Ça ira, fit Shui-Khan dont les lèvres trahissaient un
agacement contenu. J'ai compris. Je prendrai soin de la maison jusqu'à votre
retour… Euh… merci.
Hazuki soupira de soulagement et prit congé avant de
commettre une autre bévue. Elle récupéra sa serviette de cours dans le couloir,
grimpa les escaliers quatre à quatre grâce à ses jambes excessivement longues
puis rentra dans sa chambre située au tout début du palier.
—Haaaaa. Une demi-heure pour souffler.
Ses idoles l'accueillirent de leurs regards figés :
chanteuses de "J-pop" aux mèches décolorées, mannequins masculins aux
visages androgynes, acteurs américains et autres égéries au look pseudo
gothiques tapissaient la moindre surface des murs, des portes de placard et de
son bureau. Seuls le lit à parure verte, le sol et l'ordinateur avaient été
épargnés par sa frénésie d'idolâtrie. Hazuki ouvrit la fenêtre située au-dessus
de son bureau pour faire entrer un peu d'air frais et elle posa son yaourt sur
le bureau. Dans un cadre photo, le visage rond et enthousiaste de sa mère
semblait sourire pour lui souhaiter la bienvenue.
— Plus besoin de ça, fit-elle en retirant l'Etemenanki.
Asuka lui avait bien recommandé de ne le porter qu'à la
maison lorsqu'elle voulait converser avec Shui-Khan et surtout pas "dehors
pour faire des blagues avec les copines". L'adolescente était raisonnable.
Malgré son jeune âge elle avait conscience de ce qu'impliquait la mission de
son frère aîné, d'autant plus qu'il ne se privait pas de lui raconter ses
aventures dans les moindres détails. Elle ne voulait donc pas prendre le risque
de le compromettre pour de simples "blagues avec les copines". En
temps normal, Hazuki se serait au moins permise d'inquiéter son frère en
menaçant d'emmener l'objet en cours d'anglais. Toutefois, elle n'avait plus le
cran de lancer de telles provocations depuis son retour. Avec le décès de son
instructrice Sonia Donetti, Asuka était devenu moins réceptif à ce genre de
farces. Non pas qu'il eût sombré de nouveau dans les périodes les plus pénibles
du deuil de leur mère, mais Hazuki avait bien remarqué qu'il chahutait un peu
moins qu'à l'accoutumée, qu'il réfléchissait davantage avant d'agir. Sans
compter son attitude paternaliste avec Shui-Khan. En un mot, Asuka était devenu
plus adulte. Certes, il était moins drôle, mais au moins Hazuki ne ressentait
plus le besoin d'être toujours derrière lui à guetter ses moindres faits et
gestes comme si elle était l'aînée.
Elle alluma l'ordinateur portable qu'il lui avait offert un
an plus tôt et sourit sans le réaliser. L'avoir à la maison quelques semaines
était plus agréable qu'elle ne l'avait imaginé. Depuis qu'il était devenu élu,
elle ne le voyait que quelques semaines par an. Parfois il se téléportait
depuis la France juste pour manger avec la famille ou simplement l'accompagner
faire des courses. Mieux encore, il lui arrivait de venir les chercher pour
leur faire visiter Paris, Londres ou d'autres endroits qu'il appréciait, sans
même qu'il fut nécessaire de payer quoi que ce soit. Le don d'Asuka était
extraordinaire. Il avait permis à Hazuki de visiter plusieurs coins du globe en
l'espace de quelques heures, d'aller voir le beau Rick jouer dans son bar
parisien et même de passer un week-end à Hawaï. Grâce à ce don, Asuka
paraissait beaucoup moins éloigné. Cependant, se réveiller et le trouver dans
la cuisine en train de petit-déjeuner, ce n'était pas pareil.
L'ordinateur mettait du temps à s'allumer. Hazuki en profita
pour quitter son uniforme scolaire au profit d'une tenue plus urbaine et dénoua
son chignon. Elle nota avec satisfaction que ses cheveux lui arrivaient
désormais juste en dessous des omoplates. Encore quelques semaines de patience
et elle aurait sa tignasse.
— Ce n'est pas trop tôt, rugit-elle à l'intention de l'écran
de son portable.
Il avait fallu quatre bonnes minutes pour que l'ordinateur
daignât enfin être opérationnel. Hazuki lança de la musique et se connecta à
son logiciel de discussion instantanée tout en mangeant son yaourt. Presque
aussitôt, une collègue de travail vint lui parler.
[Naru Segawa] : Hazuki!
[Zuzu] : Salut Kana! Tu es
en train de te préparer?
[Naru Segawa] : Pas encore…
Je viens à peine de rentrer du sport. Mon frère a fouillé dans ma chambre. Ça
m'a trop énervée! Heureusement il n'a rien trouvé de compromettant.
[Zuzu] : LOL
[Zuzu] : Je compatis. J'ai
connu ça!
[Naru Segawa] : Et toi?
[Zuzu] : Je viens d'arriver
aussi. Epuisée! J'espère qu'on n'aura pas trop de clients ce soir.
[Naru Segawa] : Te-he…
[Zuzu] : ???
[Naru Segawa] : ♥ ♥
♥
[Zuzu] : Mais qu'est-ce que
tu me fais là? @_@
[Naru Segawa] : N'essaie
pas de faire comme si… Tu penses qu'il sera là ce soir aussi?
Hazuki comprit enfin.
[Zuzu] : Je ne sais pas… En
tout cas il est venu presque tous les soirs depuis le week-end dernier.
[Naru Segawa] : C'est vrai.
Dis, ça te plairait qu'il soit là, n'est-ce pas?
[Zuzu] : Qu'est-ce que tu
insinues?
[Naru Segawa] : Oh, arrête!
Tu es la seule avec laquelle il parle autrement que pour commander son donut.
[Naru Segawa] : LOL
[Zuzu] : Crétine!
[Zuzu] : Il est trop vieux
pour moi.
[Zuzu] : Je suis certaine
qu'il est même plus vieux que mon frère.
[Naru Segawa] :
LOOOOOOOOOOOOOOOOL
[Zuzu] : Si tu continues je
te bloque XD
[Naru Segawa] : Bon, bon.
Je vais me changer, j'ai plus de trajet que toi. On se retrouve à Dotonburi dix
minutes avant?
[Zuzu] : Si tu veux! À
toute! Je déco.
Hazuki
chassa ses mauvaises pensées de son esprit et continua à traîner sur internet,
avant de se préparer enfin à aller travailler.
***
—
MAEKAWA! RETOURNE TRAVAILLER!
Les
doigts d'Hazuki se crispèrent sur le rebord du bac qu'elle utilisait pour
débarrasser les tables du café, bac qu'elle avait d'ailleurs stratégiquement
placé devant son ventre pour dissimuler une tâche de café sur son tablier vert.
Les tasses s'entrechoquèrent lorsqu'elle fit volte-face.
—
J… J'arrive tout de suite Madame Akura. Ce client me demande juste un petit
renseignement.
Le
manager afficha une moue sceptique et partit derrière la vitrine réfrigérée
pour réorganiser les bagels, cheesecakes et autres sandwiches atypiques vendus
dans ce temple du café standardisé. Les collègues d'Hazuki couraient
littéralement derrière le comptoir, enchaînant les préparations de boissons
chaudes au gré des commandes des clients. Travailleurs, élèves en uniformes,
jeunes oisifs et touristes formaient une file d'attente hétéroclite qui
s'allongeait jusqu'à la porte d'entrée.
Hazuki, elle, ne les voyait pas. Elle ne les voyait plus. Le coffee shop
du quartier de Dotonburi n'était que le vague arrière-plan de son tableau
d'admiration. Hazuki n'avait d'yeux que pour le "gaijin" assis à la
table qu'elle faisait mine de débarrasser depuis un quart d'heure. S'il n'avait
pas retiré ses lunettes de soleil lors de leur première conversation elle
l'aurait pris pour un japonais. Ses cheveux fins et courts, ses grands yeux
inexpressifs à la noirceur d'anthracite, tout jurait avec la pâleur presque
maladive de sa peau
—
Vous savez… Il paraît qu'à la fin du XVème siècle, en Turquie, un mari avait la
possibilité de répudier sa femme si elle ne lui servait pas son café de façon
quotidienne, dit-il en lui tendant finalement le verre qu'il venait de vider
d'un trait.
—
Oh! C'est vrai? Je n'en savais vraiment rien, répondit-elle machinalement.
— Ce genre de chose serait inimaginable de nos jours, même
dans les civilisations les plus rétrogrades. Pourtant l'addiction des hommes
pour la caféine est loin de décroître au fil des siècles et se répand même
comme une traînée de poudre, y compris dans l'archipel nippon. Je viens tous
les jours depuis une semaine et cet endroit ne désemplit pas.
Hazuki
mit le verre dans son bac de la façon la plus discrète possible, presque
honteusement. Monsieur Hughes venait au coffee shop depuis cinq jours et
prenait la peine de lui parler à chaque fois, comme si de rien n'était. Comme
si elle n'était pas qu'une simple lycéenne travaillant à mi-temps pour mettre
de l'argent de côté, comme si elle n'avait pas que seize ans. En même temps,
Monsieur Hugues avait des traits étonnamment jeunes vu sa posture et sa manière
de s'exprimer. Et quelle façon de s'exprimer… Il parlait japonais comme s'il
était né dans le pays. Peut-être était-ce le cas. Un jeune businessman? Malgré
leurs longues conversations elle n'avait jamais osé lui poser la question.
Les
yeux de Monsieur Hughes se détournèrent d'elle et scrutèrent le boulevard à
travers la baie vitrée. Hazuki avait remarqué qu'il avait toujours le regard
vague, même lorsqu'il s'adressait à elle. Tel qu'elle l'avait décrit à ses
camarades et à sa collègue Kana : "il étudiait les possibilités".
Lorsque Monsieur Hugues observait son café, les autres clients, le menu, il le
faisait avec le regard à la fois émerveillé et interrogateur d'un visiteur de
musée admirant une œuvre abstraite. "Tiens, que devrais-je comprendre?
Quelle est cette nouvelle découverte? Qu'y a-t-il derrière?" Voila ce
qu'il semblait dire, ce qui accentuait son côté enfantin.
—
Je vais me rendre au Château d'Osaka, dit-il en décroisant les jambes.
—
C'est vrai? Mon père et mon frère y travaillent en ce moment. Si vous les voyez
dites-leur que vous venez de ma part et ils vous feront un bon accueil!
—
J'en prends note.
Il
acquiesça sans sourire et se leva. Ses vêtements étaient noirs, ses chaussures,
vernies et assorties à sa veste en cuir. L'homme avait une certaine prestance,
celle d'un vingtenaire à qui tout réussit. Contrairement aux garçons de l'âge
d'Hazuki il ne manquait pas de confiance en lui mais, paradoxalement, ne
faisait pas non plus de zèle. C'était le genre d'homme dont on savait qu'il ne
se retournait que rarement sur soi, sauf si l'on avait la chance d'attirer son
attention. Une fois qu'il avait tourné le dos, c'en était fini, on ne le
reverrait plus jamais, ce qui était d'autant plus valable s'il vivait à
l'étranger. Hazuki sentit la tristesse l'envahir. Il s'en allait,
définitivement cette fois. Elle sentait Kana la presser du regard depuis le
comptoir. Sa collègue était petite mais coriace.
—
Vous repartez donc? demanda-t-elle par convenance.
— Oui.
Merci de m'avoir écouté mademoiselle, dit-il en la dévisageant.
Elle
se sentit rougir.
—
C'était un plaisir de discuter avec vous Monsieur Hugues. J'espère que vous
parviendrez à surmonter votre deuil. Je l'espère vraiment. Mon frère…, si je le
perdais je serais probablement aussi dévastée que vous l'êtes. Je ne prétends
pas comprendre mais je peux imaginer ce que vous vivez.
—
J'espère que tu n'auras jamais à ressentir une telle douleur.
Il
s'inclina devant elle de façon typiquement nippone et remit ses lunettes noires.
—
Monsieur Hugues…
—
Pas de ça. Mes amis m'appellent "Hugin".
—
Oh…, fit-elle touchée. Hugin alors. Sans vouloir paraître indiscrète, est-ce
que vous êtes amené à revenir au Japon. Ou plutôt… à Osaka?
—
Peut-être, dit-il avec un semblant de sourire. Je voyage beaucoup, j'ai des
facilités de déplacement. Il se pourrait que je repasse dans le coin. En tout
cas je saurai où te trouver si je souhaite te saluer.
—
Oh… En fait je vais devoir arrêter de travailler dans peu de temps. Avec mes
cours et les examens, mon père ne veut pas que je me disperse…
—
Je vois.
Il
fouilla dans sa poche et lui tendit un bloc-notes et un petit crayon.
—
Dans ce cas, veux-tu bien me donner ton adresse électronique? On pourra garder
le contact et je te préviendrai si jamais je reviens à Osaka. N'y vois pas de
mauvais intentions, je serais juste heureux d'avoir une amie ic…
—
Bien sûr, bien sûr, fit Hazuki en s'empressant de lâcher son bac pour
griffonner son adresse. Je vous donne aussi mon numéro de téléphone portable.
Kana
poussa un petit couinement hystérique au loin mais, heureusement, Monsieur
Hugues parut ne pas s'en rendre compte (contrairement au manager). Il reprit
son carnet.
—
Vous savez comment vous rendre au château d'Osaka? Où se trouve votre hôtel?
—
Je loge à Shinsaïbashi. Je dois d'ailleurs y repasser avant d'aller au château.
—
De Shinsaïbashi vous n'aurez pas de mal! (Elle lui montra un plan de métro)
Prenez la ligne vert clair, Nagahori Tsurumi Ryokuchi et allez vers Temmabashi
ou Tanimachi 4-chome. Vous serez à quelques minutes du Château. Oh… vous savez
peut-être déjà comment y aller? Excusez-moi.
—
D'être serviable? Voyons, Melle Maekawa!
Hazuki
gloussa de façon incontrôlable puis reprit une attitude aussi sérieuse que
possible avant de saluer Monsieur Hugues convenablement. Il en fit de même,
puis quitta le café. Sa silhouette passa devant la baie vitrée embuée, puis
disparut au milieu de la foule. Il était parti pour de bon.
—
Tu lui as donné tes contacts? Génial, lui lança Kana depuis le comptoir.
—
Oui…, répondit doucement Hazuki.
—
Tu te rends compte que son hôtel est à Shinsaïbashi? Soit il est riche, soit la
compagnie pour laquelle il travaille lui fournit des moyens considérables. Que
fait-il déjà comme travail?
—
Je n'en sais rien du tout, répondit tristement Hazuki en retournant derrière le
comptoir. Je ne sais rien de lui en fait.
—
Quoi? Même ça tu ne le sais pas? Ma pauvre Hazuki, tu me déçois. En plus il a
tes coordonnées mais tu n'as pas les siennes. Espérons qu'il te contactera si
jamais il revient.
Hazuki
acquiesça en mettant presque rageusement les tasses sales dans l'évier. Qu'elle
était stupide. Elle ne savait absolument rien de lui, ne lui avait parlé que
quatre ou cinq fois. Comment avait-elle pu tomber amoureuse d'un type dont elle
ne savait rien et qui vivait sans doute aux Etats-Unis ou dans un autre pays
situé à l'autre bout du monde. Elle ne pouvait pas se téléporter, elle.
Monsieur Hugues était gentil mais, curieusement, elle ne s'attendait pas à
recevoir un jour un e-mail de sa part ou à le voir remettre les pieds dans le
café.
—
Kana, on finit dans combien de temps? demanda-t-elle soudain.
—
Hum… Moi, deux heures. Toi… Dans quarante minutes, répondit Kana en remplissant
les vitrines de viennoiseries. Pourquoi donc? Ne me dis pas que…
Kana
s'arrêta à nouveau de travailler.
—
Si je pars directement au château après le travail je le croiserai sans doute
et j'aurai une autre opportunité de lui parler.
—
Tu comptes lui déclarer ta flamme?
—
Ne sois pas stupide! On n'est pas dans un de ces dramas stupides où les
filles fomentent des plans bancals pour avoir le garçon de leurs rêves! Je veux
juste le croiser une dernière fois, en dehors de ce maudit café, sans ce
tablier. Je ne veux pas qu'il garde uniquement le souvenir de la serveuse de
café misérable qui travaille quelques heures par semaine pour gagner un peu
d'argent.
—
Ta réplique ne ressemble pas du tout à un cliché de drama, ironisa Kana.
—
Sois sérieuse! S'il me revoit dans un autre cadre, je le marquerai davantage et
j'aurai plus de chances d'être contactée par lui plus tard. Je prétexterai être
venue chercher Asuka si jamais il s'étonne de ma présence. Je proposerai de lui
faire visiter le château et…
—
Voyons Hazuki, tu es bien placée pour savoir que le château ferme à 5 heures!
Ton prince charmant ne sera plus là-bas d'ici à ce que tu arrives à Temmabashi.
—
Aaaaaaah…. Mais pourquoi veut-il visiter le château dans ce cas là? Si en plus
il passe par son hôtel il aura tout au plus un quart d'heure pour… Il ne doit
pas connaître les horaires. Tant pis, je vais y aller malgré tout.
—
Je veux bien te couvrir pour que tu puisses partir dix minutes plus tôt mais
c'est tout ce qui sera en mon pouvoir, dit Kana d'un air solennel. Prie pour
que la vipère Akura fasse comme d'habitude et me confie la caisse.
—
Tu ferais ça!?
—
Je suis ton aînée. En souvenir de mes amours adolescents, je te dois bien ça,
dit Kana avec un clin d'œil.
Hazuki
lui prit les mains avec gratitude.
—
Merci beaucoup, grande sœur Kanaaaaa!
***
Hugin était à à peine quelques pas de là, les yeux rivés sur
des écrans de télévision placés en démonstration à l'intérieur de la vitrine
d'un magasin de hi-fi. Il était indifférent à la foule dense qui se mouvait par
grappes derrière lui et aux bousculades occasionnelles, rarement suivies
d'excuses. Il fallut qu'une main à la peau douce se glisse dans la sienne pour
qu'il sorte de sa transe. Mécaniquement, il l'étreignit.
— Tu es ponctuelle.
La femme japonaise habillée d'un long manteau en cuir beige
et chaussée d'escarpins noirs lui sourit. Sa permanente fournie était surmontée
d'un chapeau à bords étroits, blanc rayé de noir. Hugin se rappela qu'elle s'appelait
Hisae dès qu'il sentit à nouveau son parfum de pêche enivrant.
— Je suis contente de te revoir, dit-elle.
— Tu n'as pas eu de mal à me retrouver? Je n'imaginais pas
que lieu de rendez-vous que j'allais te proposer serait aussi bondé.
Il se détacha des écrans presque à contrecoeur pour se
mettre face à elle, sans lui lâcher la main.
— Du mal à te trouver? rit Hisae. Un grand occidental tout
de noir vêtu ne passe pas inaperçu ici, même avec les lunettes de soleil. Tu
n'as pas vu toutes ces adolescentes qui t'observent en jacassant?
Hugin les voyait maintenant mais il ne leur prêta pas plus
attention que si elles étaient des pigeons de passage. Il asséna un sourire à
Hisae et constata avec satisfaction que les joues de la trentenaire
s'empourpraient malgré son épais fond de teint.
— Tu repars bientôt? C'est notre deuxième et dernière
opportunité de passer un peu de temps ensemble, déplora-t-elle. Où m'emmène-tu?
— Il y a un bar assez agréable à mon hôtel. On pourrait y
prendre un cocktail.
— Juste un cocktail?
— Je manque malheureusement de temps car je suis attendu
quelque part en fin d'après-midi. Autrement je me serais fait une joie de
t'inviter à dîner.
Il jeta de nouveau un œil furtif aux écrans de télévision
dans la vitrine.
—
J'espère que la personne qui t'attend n'est pas une autre de tes maîtresses,
plaisanta Hisae. Quelle offense cela serait pour moi que de voir notre temps
écourté au profit d'une autre femme.
—
Voyons.
—
Je plaisante, je plaisante. Allons-y donc. Je suppose que nous devons chercher
un taxi.
Sa
remarque relevait davantage de l'évidence que de la simple interrogation. Hugin
se contenta d'acquiescer, tentant de réprimer l'agacement que lui inspirait la
musique issue de la boutique hi-fi. Hisae le remarqua et s'intéressa aux
écrans.
—
Quelque chose t'importune? Cette musique peut-être?
—
Je ne sais pas trop pourquoi, admit Hugin.
—
Tu ne dois pas être fan de ce pop-rock européen. Comme je te comprends. J'imagine
qu'un intellectuel tel que toi, capable de parler japonais comme si c'était sa
langue maternelle se berce de mélodies plus sophistiquées. Allons (elle tira un
peu sur sa main), sinon tu n'auras même pas le loisir de me faire visiter ta
chambre.
Hugin
esquissa un sourire et se laissa entraîner à travers la foule.
***
C'est avec soulagement qu'Asuka Maekawa vit son père, Kenzo,
accourir vers lui aussi rapidement que le lui permettait sa lourde carrure.
Asuka se demandait toujours comment son géniteur arrivait à se déplacer aussi rapidement
en dépit de son poids. Il se demandait également si cet attribut était
génétique. En effet, les deux parents d'Asuka avaient toujours été en surpoids
malgré des résolutions inachevées de régime et le jeune homme savait qu'il ne
devait son statut de "mince" qu'aux activités physiques qu'impliquait
son rôle d'élu. Dès qu'il avait le malheur d'arrêter le sport plus de quelques
semaines ses joues redevenaient rondes comme celui du "Hamster Suka"
qu'il avait été jusqu'à ses seize ans et il se contraignait à davantage
d'exercice jusqu'à retrouver la physionomie qui lui seyait davantage.
— C'est un comble! grommela Kenzo Maekawa en entrant dans le
hall d'accueil du château d'Osaka.
— Que se passe-t-il? Un problème avec la voiture?
— Il n'a même pas eu le temps de s'en occuper qu'il m'a dit.
Trop de clients à satisfaire et, sous prétexte que je suis un ami et qu'il ne
me fait pas payer, il les a fait passer avant moi. J'ai été obligé de revenir
ici en transports publics.
Kenzo transpirait à grosses gouttes. Il retira de sa tête le
borsalino ridicule qu'il s'était offert quelques jours plus tôt et s'éventa
avec.
— Ça t'apprendra à ne pas vouloir payer comme tout le monde
alors que j'étais prêt à t'avancer l'argent, répliqua Asuka en se saisissant
prestement de sa veste. Tu aurais déjà ta voiture et tu ne sentirais pas la
sueur. Tu sais que le déodorant n'est pas optionnel? Ce n'est pas ainsi que tu
vas te remarier.
Asuka soupira, voyant que son père ne l'écoutait même pas.
Il était trop occupé à conspuer son "malfaiteur de garagiste d'ami". Le
jeune homme regarda sa montre avec lassitude.
— Papa, puis-je y aller maintenant? Il est cinq heures cinq.
— Il est justement cinq heures cinq! Pourquoi y a-t-il
encore quelqu'un à l'accueil?
Ce faisant, il désigna une jeune femme qui regardait le
panneau d'information à l'opposé du comptoir. Une brune en jeans et veste
blanche qui semblait concentrée sur le déchiffrage des horaires.
— Tu dois faire en sorte que les visiteurs n'accèdent plus à
l'accueil passé cinq heures moins le quart! Tu le sais bien, les choses n'ont
pas changé depuis la dernière fois que tu as travaillé ici.
— Je ne l'avais même pas remarquée sinon je lui aurais
demandé de partir il y a dix minutes, protesta Asuka. Tu ferais mieux de t'en
prendre à tes collègues, moi je ne suis là que pour te remplacer à l'accueil et
te rendre service par la même occasion. D'ailleurs je te rappelle que j'ai
passé la journée à faire de l'exercice alors j'ai le droit de ne pas voir
entrer cette femme minuscule!
Les yeux de Kenzo se plissèrent au point de se fermer et il
caressa sa barbe fournie, l'air pensif.
— Excuse-moi Asuka, dit-il avec un calme inattendu. J'ai
tendance à oublier que tu n'es pas n'importe qui.
— Tu t'excuses!? fit Asuka, incrédule
— Tu ne devrais pas avoir à t'occuper de basses besognes
telles que celle-ci alors que l'avenir du monde est dans le creux de tes mains.
J'ai manqué de discernement en te demandant de me remplacer ici.
— Ce n'est pas une basse besogne, dit Asuka avec gêne. Tu
devrais être fier de ton travail… c'est grâce à lui que nous avons subsisté. Ce
n'est parce que je suis un élu que tu ne dois plus rien me demander.
Kenzo resta silencieux un instant, puis il acquiesça.
— Comment se passe ton entraînement avec Shui-Khan?
— C'est rare que tu me poses ce genre de question…
— Je sais. Alors?
— Et bien… Ce n'est pas vraiment de l'entraînement étant
donné que je n'ai personne pour m'instruire. Je me contente d'affûter mes
réflexes.
— Affûter tes réflexes? C'est-à-dire?
Asuka était vraiment surpris. Son père n'avait toujours
montré qu'un intérêt très distant pour ses activités d'élu. Il se contentait
généralement de lui demander si tout se passait bien, s'il prenait soin de lui
et s'il avait enfin une petite amie.
— Réagir plus vite à des situations de danger, en somme.
Shui-Khan m'attaque et je dois essayer de lui échapper le plus longtemps
possible. Je ne suis pas vraiment un combattant. Mon rôle est plutôt d'être
suffisamment réactif pour pouvoir sauver ma peau et celle de mes compagnons
lorsque les choses… tournent mal.
— Lorsque les choses tournent mal. Cela arrive souvent?
— Il vaut mieux pas que je te réponde…
Kenzo éclata de rire.
— Dans ce cas, je suis ravi que tu aies obtenu ce pouvoir et
pas un autre. Si cela augmente tes chances d'échapper au danger, c'est le
cadeau le plus précieux qui soit.
— Es-tu en train de me traiter de fuyard? fit Asuka.
— Pas du tout. Je suis très fier d'avoir produit un être
aussi important que toi. Bien que je ne sois pas très satisfait de mon travail,
j'aime à penser que ta mère et moi nous sommes rencontrés pour engendrer l'un
des gamins qui vont peut-être sauver le monde. Il est dommage que je ne puisse
pas m'en vanter devant mes collègues lorsqu'ils me parlent de leurs enfants
prétentieux qui vont à l'université et font de longues études mais…
Kenzo s'arrêta. Il était manifestement embarrassé. Asuka
aussi.
— Va dire à cette femme qu'il est l'heure de quitter les lieux
s'il te plaît. Tu peux ensuite partir. Je m'occupe du reste. Ces tire-au-flan
vont m'entendre, j'ai vu en arrivant qu'ils n'ont même pas fermé la porte du
local.
— Ça me va, souffla Asuka, encore sous le choc des
révélations soudaines de son père.
— Je risque de ne pas rentrer tôt. Si les enfants ont faim
commande leur quelque chose. Je cuisinerai demain.
Kenzo remit son chapeau et baissa les yeux avant d'entrer
dans l'arrière salle de l'accueil. Ces manifestations de fierté étaient
anodines chez Hazuki mais pas chez ce dernier. D'ailleurs elles ne parvenaient
jamais à leur terme, Kenzo ayant beaucoup de difficulté à exprimer ses
sentiments à voix haute. Asuka regrettait parfois que ses parents ne fussent
pas davantage comme ceux de Jamie : excessivement affectueux. Ainsi, les rares
vagues d'amour de son père l'auraient moins mis dans l'embarras. Il y avait
pire bien évidemment. Ceux de Shui-Khan étaient psychorigides. Rick, lui,
n'avait même plus ses parents. Il fallait relativiser les choses. Asuka récupéra
sa veste derrière le comptoir et se dirigea vers la jeune femme qui lisait
toujours le panneau d'information. Elle se retourna brusquement.
— Asuka Maekawa, dit-elle d'une voix neutre.
— Eh…?
— Nous nous sommes déjà rencontrés. Tu me reconnais?
Passée la stupeur initiale, Asuka la dévisagea, certain
qu'ils s'étaient effectivement déjà vus. C'était une adolescente aux longs
cheveux noirs égayés par les reflets bleutés d'une teinture capillaire. Ses
yeux marron étaient dénués d'expression et elle était dotée d'un front
particulièrement large. Elle était plutôt petite, même pour son âge. Un mètre
cinquante environ.
— Nous nous sommes sans doute rencontrés mais je ne sais …
GLOW! s'exclama soudain Asuka. Je t'ai vue à Londres avec Enzo Wallace, c'est
bien ça?
— Tout à fait. Mon nom est Inès Zaghdoud.
— Oh… enchanté. Je suis Asuka Maekawa, dit-il en se
courbant.
— Je le sais. Je viens de t'appeler par ton nom.
— Ah… Excuse-moi. Je veux dire… que fais-tu au Japon?
Inès observa les alentours et plus particulièrement la porte
de l'arrière-salle que venait d'emprunter Kenzo Maekawa. Malgré son adolescence
évidente elle était habillée avec autant de classe qu'une adulte, sans pour
autant faire "fashion victim" comme Rachel.
— Je dois te parler mais il vaudrait mieux que nous allions
dehors au cas où les collègues de ton père arriveraient sans crier gare.
J'attendais depuis tout à l'heure que tu quittes le comptoir mais tu as
commencé à discuter.
— Il y a un problème à GLOW? Pourquoi ne pas m'avoir simplement
téléphoné. Je serais venu à l'instant.
— Le téléphone n'est pas envisageable en ce moment. Allons
dehors, je t'expliquerai plus en détails.
— T… Très bien, dit-il avec appréhension. Je mets ma veste
et je prends mon téléphone.
— Il faudra aussi que tu récupères Shui-Khan Liu, dit-elle.
Une boule s'était rapidement formée dans le ventre d'Asuka.
La venue de cette fille jusqu'à Osaka ne pouvait pas être bon signe. Depuis son
retour au Japon, GLOW avait toujours communiqué avec Shui-Khan et lui par
téléphone. Et maintenant cette fille disait que le téléphone était risqué? Tous
deux sortirent du petit pavillon qui servait d'accueil au lieu touristique. Le
parc était vide, les derniers touristes ayant été reconduits vers la sortie un
peu plus tôt. Un petit vent faisait bruisser le feuillage des arbres ainsi que
les buissons fleuris qui servaient de cadre à l'entrée du château. Asuka
proposa à Inès de s'asseoir sur les gros rochers qui trônaient près des cerisiers.
Deux d'entre eux, bien que de hauteurs différentes, étaient suffisamment plats
pour pouvoir servir de sièges de fortune.
— Désolé, ce n'est pas très confortable.
— Non, cela ira. De toute façon ce que je veux dire sera
bref. Ensuite tu m'amèneras auprès de Shui-Khan Liu.
Elle s'assit sur le rocher le plus bas, parfaitement adapté
à sa taille et attendit qu'Asuka en fasse de même. Il trépignait littéralement
d'impatience mais il constata qu'elle aussi était très nerveuse.
— Est-ce qu'il est arrivé quelque chose? On a des nouvelles
de Rachel?
— Non, ce n'est pas au sujet d'elle malheureusement. Du
moins pas directement. C'est plutôt au sujet de toi…
— De moi!? Comment ça? Ai-je fait quelque chose?
— Calme-toi et laisse-moi parler, dit-elle avec autorité.
— Eh…
— GLOW est sous siège.
— Quoi?
— Le QG de Londres est pris en otage à l'heure même où je te
parle.
— QUOI??
Asuka s'était levé, catastrophé.
— C'est impossible! Comment le siège peut-il être otage? Qui
aurait fait ça?
— À ton avis, qui aurait pu faire ça?
— La Confrérie…, réalisa Asuka. Encore eux?
— Pas seulement eux… La situation est dramatique.
— Ils auraient-ils capturé les membres de GLOW à cause de…
moi?
Asuka
allait continuer à bombarder Inès de questions mais elle prit une longue
inspiration, signe qu'elle n'avait pas fini son récit. C'est alors qu'il
remarqua qu'elle n'avait rien sur elle, pas de sac ou quoi que ce soit d'autre,
comme si elle était venue précipitamment.
—
Tout ce que je sais de la situation, je l'ai appris d'Enzo Wallace lui-même. Je
n'étais pas sur place lorsque c'est arrivé. C'est d'ailleurs pour cela que je
suis en mesure de venir chercher de l'aide. Je suis encore lycéenne et j'étais
donc en cours toute la matinée. Chaque midi, lorsque je finis les cours, je
rentre à la maison pour me changer puis je vais au QG. Cependant, alors que
j'approchais de l'institut Hopleth j'ai été contacté par Enzo Wallace.
—
Comment t'a…
—
Il peut communiquer avec moi par la pensée à condition de ne pas se trouver à
plus d'une certaine distance, cela fait partie de ses pouvoirs. Enzo Wallace
m'a intimé de ne pas m'approcher davantage au risque d'être repérée. J'étais
alors à environ deux cent mètres de l'entrée et j'ai continué à marcher tout
droit comme si ne faisais que me promener. Il m'a brièvement expliqué qu'une
faction composée de sous-fifres de la Confrérie et du Clan d'Azulnot avait établi
un champ de force autour du QG et coupé toute forme de communication avec
l'extérieur. La faction s'était présentée le matin même et avait simplement
déclaré que les occupants disposaient de trente-six heures pour révéler votre
localisation exacte.
— Notre? Tu veux dire celle des élus?
— Vos adresses respectives sont confidentielles et Enzo
Wallace lui-même fait en sorte que ce type d'information ne filtre pas, pour
votre sécurité. En principe il devrait en être de même pour les deux sièges de
GLOW. L'organisation n'a d'ailleurs pas hésité à déménager après la trahison
supposée de Samuel Mortimer il y a dix ans. Il semblerait que ce n'ait pas
suffi… Peut-être que Rachel…
— Rachel n'aurait rien révélé!
— Même sous la torture?
Asuka se tut, saisi d'un frisson. Il avait mille fois
imaginé les sévices qui pouvaient avoir été infligés à Rachel mais il préférait
se persuader qu'elle était bien traitée, comme le supposaient plusieurs autres
membres de GLOW.
— Que se passera-t-il si GLOW n'obéit pas?
— Le champ de force a été posé à neuf heures du matin, heure
de Londres. Au bout de trente-six heures, c'est-à-dire neuf heures du soir,
heure de Londres, tous les occupants du QG seront éliminés puis le bâtiment
sera détruit. Enzo Wallace pense que ce délai a été choisi afin de donner
suffisamment de temps au personnel pour perdre espoir mais pas assez pour
organiser un quelconque plan de secours. Sans moyen de communication avec l'extérieur
le personnel ne peut rien espérer en si peu de temps, d'autant plus qu'il n'y a
pas le moindre élu sur place. Le dirigeant a aussi noté que le délai s'achevait
en pleine nuit, sans doute pour pouvoir frapper le QG sans trop attirer
l'attention du voisinage. Je ne sais rien de plus sur le siège.
— Ce plan ne peut pas aboutir! Personne ne révélera jamais
quoi que ce soit sur nous, fit Asuka, terrifié.
— D'où ce délai anormalement long. En trente-six heures,
l'ennemi espère qu'une personne, une seule personne, finira par perdre son
sang-froid et révélera quelque chose. Il y a aujourd'hui soixante-dix personnes
dans le QG, y compris des membres de l'équipe parisienne. Peux-tu affirmer
qu'aucune de ces personnes ne finira par parler dans l'espoir de revoir sa
famille? Pour certains d'entre eux vous n'êtes que des noms ou des visages vus
de loin. La plupart des membres du personnel ne sont même pas habitués à
cotôyer le surnaturel, cela peut être effrayant pour eux.
— Tu…. Tu as raison. C'est horrible…
Asuka tremblait comme une feuille. Fallait-il encore que d'autres
de ses amis ou de ses connaissances soient menacés après ce qui était arrivé
Sonia?
— Tu as dit que c'était à cause de moi tout à l'heure? Que
t'a dit Enzo?
— Je parlais de toi en tant qu'élu, pas en tant qu'individu.
La Confrérie cherche à en finir avec vous. C'est pour cela qu'elle en arrive à
de telles extrémités. Heureusement pour GLOW, je n'étais pas dans le QG lorsque
c'est arrivé et Enzo Wallace a été capable de percevoir ma présence avant que
je n'entre. Il m'a demandé d'agir.
— Comment?
—
En tant qu'aide du dirigeant, je possède quelque chose que je ne dois utiliser
qu'en dernier recours.
Elle sortit de sa poche une ampoule en verre vide. Il y
restait à peine une goutte d'un liquide noir.
— Tu te rappelles du jour où l'on t'a prélevé un peu de sang
alors que tu venais de rejoindre GLOW?
— Oui…
— C'était pour fabriquer cette essence à usage unique. Elle
me permet de me téléporter vers toi. Une seule fois. Je l'ai prise il y a quelques
instants et me suis retrouvée aussi comme par magie.
— Vous avez fabriqué une telle chose avec mon sang? s'écria
Asuka
— Tu as un rôle essentiel parmi les élus. En cas de crise,
tu es le seul à pouvoir rassembler tout le monde en très peu de temps. Encore
faut-il que l'on soit en mesure de communiquer avec toi.
— Pourquoi confier ce genre de chose à toi et pas plutôt aux
instructeurs ou au dirigeant lui-même?
— Parce que…
— Asu-chan!
L'élu se retourna, en alerte. Sa sœur Hazuki venait à sa rencontre.
Inès se redressa, sur le qui-vive.
— Qu'est-ce que tu fais ici? demanda Asuka.
— Je ne fais que passer. Je t'ai vu parler avec cette
demoiselle donc j'ai hésité à vous déranger puis j'ai pensé qu'il s'agissait
d'une amie élue… Je tombe mal?
— Qui est cette fille? s'enquit Inès.
— Ma sœur. Elle sait pour nous, tu peux parler librement. De
toute façon elle n'a pas son Etemenanki (Il se tourna vers Hazuki). Qu'est-ce
que tu fais là? Je croyais que tu rentrais directement à la maison.
— Je voulais retrouver… quelqu'un. Et… j'ai mon Etemenanki
en fait! Je le garde toujours dans mon sac au cas où. Je l'ai mis en vous
voyant. Désolée, c'était indiscret?
— Qui devais-tu rencontrer? fit Asuka avec suspicion. Papa?
— Non, un garçon occidental que j'ai rencontré, avoua
Hazuki. Je lui avais dit que papa et toi travailliez ici et lui ai conseillé de
venir mais j'avais oublié de lui préciser que les visites s'arrêtaient tôt. Je
n'ai pas réussi à le retrouver, il doit être parti.
— Peu importe, il va falloir qu'on rentre et q…
— Un instant, l'interrompit Inès. Mademoiselle Maekawa, le
garçon occidental que vous évoquez a-t-il demandé des informations spécifiques
sur votre frère?
— Inès, pourquoi lui poses-tu cette question?
— Répondez Mademoiselle. S'il vous plaît.
Hazuki parut perturbée d'être appelée
"Mademoiselle" par une fille du même âge qu'elle.
—Euh… non, je lui ai seulement dit qu'Asuka travaillait parfois
ici.
— Connaît-il votre nom de famille?
— Non. Enfin… si, il m'a appelée Mademoiselle Maekawa mais
c'est moi qui me suis présentée il me semble. Pourquoi me…
— Vous dites qu'il s'agit d'un garçon occidental? Depuis
combien de temps le connaissez-vous? Est-ce lui qui est venu vers vous ou
l'inverse?
— Asu-chan, est-ce que j'ai fait quelque chose qu'il ne
fallait pas? demanda Hazuki, de plus en plus inquiète. Pourquoi est-ce que ton
amie me pose toutes ses questions sur Hugin?
— S'il te plaît, réponds juste à ses questions. Tout va… Attends…
Asuka pria intérieurement pour qu'il eut mal entendu le nom,
mais c'était malheureusement fort peu probable.
— Hugin? répéta-t-il. Ne me dis pas qu'il s'appelle Hugin.
— Si… Monsieur Hugues… "Hugin" pour les amis… Il
me disait qu'il avait perdu sa sœur récemment et cherchait à se… à se changer
les idées.
Hazuki avait répondu d'une voix incertaine. C'était une
jeune fille intelligente. Même elle pouvait réaliser qu'elle venait de
compromettre les élus, ou au moins le lire sur le visage atterré de son frère.
— Asu-chan, qui est cet homme? l'interrogea-t-elle d'une
voix aigue. Il fait partie de vos ennemis? Je ne pensais pas mal agir quand…
— Maekawa, j'ai un mauvais pressentiment, ce ne peut être
une coïncidence. Il faut s'en aller d'ici tout de suite, intima Inès. Va
chercher ton père, je reste avec elle. Nous allons mettre ta famille en
sécurité, récupérer Shui-Khan Liu et disparaître.
— Mais…
— Asuka, que se passe-t-il? s'écria Hazuki.
— Vas-y immédiatement Maekawa, cria Inès. Si ça se trouve
Hugin est déjà en route! S'il nous récupère, GLOW et les élus sont tous morts!
— Okay. Je vais le chercher, obéit Asuka.
— Asu-chan, attends-moi! lança Hazuki.
— NON! RESTE AVEC ELLE!
Hazuki demeura interdite et les larmes lui montèrent aux
yeux. Asuka culpabilisa aussitôt de lui avoir hurlé dessus. Sa sœur n'était pas
responsable, elle ne connaissait rien de tout ça, elle n'avait même pas à y
être mêlée. La Confrérie avait manipulé plus d'une personne avant elle.
— Tout va bien Hazuki, tout va bien, dit-il d'une voix
radoucie. On va arranger les choses. Ce n'est pas ta faute, on en parlera plus
tard. Attends-moi ici avec Inès, d'accord?
— D… d'accord.
Avant même qu'il n'eut fait un pas, Inès se mit à soupirer.
— Inutile de bouger Maekawa, nous sommes déjà piégés...
— Quoi?
Asuka leva les yeux au ciel et poussa un cri de dépit. Un
énorme dôme de brume pourpre s'était dressé au-dessus d'eux, englobant aussi
bien le château que le domaine environnant. Le fameux champ de force. Le même
que celui qui avait été mis en place autour de chez Arthur le soir où Maggie et
Mach l'avaient attaqué. Comme pour confirmer sa pensée, Hazuki laissa échapper
un gémissement et s'écroula, endormie. Il devait en être de même dans le
pavillon du comptoir d'accueil.
— Bordel, si rapidement!? jura Asuka.
Inès se pencha sur Hazuki pour vérifier qu'elle était bien
endormie et confirma d'un hochement de tête. À ce moment, un éclair blanc
s'abattit à quelques mètres d'eux et irradia le dôme d'un éclat intense. Asuka
n'avait même pas à s'interroger sur l'identité du membre de la Confrérie qui
allait apparaître. Pourtant il fut surpris par l'apparence presque normale de
Hugin. Le jeune homme – car il avait l'apparence de la vingtaine – était même le
genre de type qu'Asuka jalousait, de ceux qui attirent toutes les femmes.
Hormis son teint pâle et le fait qu'il soit entièrement vêtu de noir, ce
nouveau venu n'était pas particulièrement impressionnant. Asuka se rappela
toutefois que Munin ne l'était pas non plus jusqu'à l'apparition de sa lance télescopique.
— Hugin je suppose. C'est toi qui as manipulé ma petite
sœur?
— Désolé pour ça Asuka, répondit Hugin après avoir rangé ses
lunettes de soleil dans une poche de sa veste. Pour ma défense, je l'ai trouvée
vraiment gentille. Je ne lui aurais pas fait de mal.
— Comme avec Sonia, n'est-ce pas?
Hugin ne répondit pas. Contrairement à Munin, il ne souriait
pas de façon perpétuelle et agaçante. Son expression à lui était
indéchiffrable.
— Peux-tu te téléporter hors de cette zone? demanda Inès à
voix basse.
— Non, le champ me bloque…
—
Ce champ est élaboré sur la même base que le don de Samuel, expliqua Hugin. Non
seulement il ne peut pas être traversé en raison de la barrière de brume qui le
compose, mais en plus il est invisible de l'extérieur et voile l'existence de
ceux qui s'y trouvent. Inutile de chercher à y échapper sans mon consentement.
Parlons peu mais parlons bien. Asuka, je vous laisserai partir si tu me mènes à
Salimata Diop.
—
Sally? Tu veux que je te mène à Sally!?
—
Si tu ne coopères pas, je tuerai ta famille.
Hugin
avait fait cette déclaration comme si de rien n'était. Tuer une adolescente et
un père de famille ne l'affectait pas plus que cela? Asuka sentit la colère et
l'impuissance l'envahir.
—
Comme si j'allais te laisser faire! De toute façon je n'ai pas confiance en toi.
Pourquoi veux-tu me faire croire que tu nous épargneras si je te mène à Sally?
Je sais que votre plan est de tuer tous les élus, c'est pour ça que vous avez
capturé les membres du QG de Londres. Vous voulez faire pression sur eux!
Hugin
haussa les sourcils.
—
Ils ont fait cela? Je n'étais pas au courant.
—
Hein…?
—
Tu me l'apprends, je le jure.
Il
avait l'air étonnamment sincère ou alors était un très bon comédien. Munin
l'était aussi de son vivant. Asuka consulta Inès du regard et constata qu'elle
fronçait elle aussi les sourcils de surprise. Hugin n'était-il réellement pas
au courant du siège?
—
Je ne sais pas ce qu'il se passe à Londres mais j'agis indépendamment de cette
initiative. Seule Sally m'intéresse.
—
Seulement Sally? Tu veux te venger parce qu'elle a tué Munin, c'est ça?
—
Oui, répondit Hugin sans le moindre détour. J'ai eu beaucoup de mal à te localiser.
Le seul dont j'ai pu retrouver la trace avant toi, c'est Arthur Gall. Cependant
il a visiblement quitté sa famille depuis plusieurs jours. Les autres sont
introuvables.
—
Il a pu trouver la maison d'Arthur? s'exclama Asuka en s'adressant à Inès.
—
Arthur n'était pas encore un élu lorsqu'il a rejoint GLOW, expliqua l'adolescente.
L'organisation n'a pas pu protéger ses données à temps mais la présence de
Kaznaël chez lui est censée assurer sa protection, même si les dirigeants ont
fait mine de ne pas être au courant.
—
Quelle est ta réponse? insista Hugin. Tu n'es pas en position de négocier et je
doute que tu tiennes plus à cette Sally qu'à ta propre sœur. Je t'accorde une
minute pour réfléchir. Soit tu me mènes à elle, soit j'exécuterai tes proches.
Asuka
était paralysé. Il ne pouvait ni se téléporter, ni protéger sa famille. Si
Hugin avait ne serait-ce que le tiers du talent combatif de Munin, Asuka serait incapable de le neutraliser ou même de
lui tenir tête. Lui tenir tête pendant combien de temps de toute façon? Jusqu'à
épuisement? Cela reviendrait au même. Il n'était pas Arthur, Shui, Rick ou
d'autres élus capables de combattre au corps à corps contre des guerriers
entraînés. La seule solution était-elle d'accepter l'offre? Si Asuka menait
Hugin à Sally, elle saurait probablement se défendre, voire se débarrasser du
membre de la Confrérie. Si Jamie était à proximité, la victoire serait assurée
par sa force herculéenne. Dans le meilleur des cas, Asuka aurait peut-être même
le temps de ramener du renfort.
Et
si ça ne marchait pas? Et si Sally était tuée et que Hugin ne respectait
finalement pas sa promesse de laisser les Maekawa indemnes? Asuka les aurait
sacrifiés en vain et aurait, par la même occasion, ruiné toute chance de sauver
les otages du QG londonien. En désespoir de cause, il se tourna vers la seule
personne avec laquelle il pouvait converser à ce moment précis.
—
Inès, que dois-je faire?
—
Hors de question de nous livrer. Je sais ce que tu dois vivre mais compromettre
un seul élu équivaut à accorder la victoire à la Confrérie. Nous sommes en
guerre Asuka. Il faut te battre!
—
Mais… Si… Je ne peux que perdre Inès, tu ne comprends pas? Je n'ai pas de don
offensif, je suis dans le mauvais angle de la Triade! Ana Rosa m'a laissé des
armes mais elles ne sont pas sur moi. Comprends-moi! Je n'ai pas peur de perdre
la vie ici mais je ne peux pas prendre le risque de perdre mon père ou ma sœur
et infliger un autre deuil à ma famille!
Inès
s'éloigna doucement de Hazuki.
—
Je peux me battre aussi et t'aider à protéger ta famille.
—
Toi?
—
Tu ne t'es même pas demandé pourquoi je ne m'étais pas évanoui comme ta sœur au
moment où le champ de force s'est formé?
Asuka
n'y avait légitimement pas prêté attention, sous la menace de Hugin.
—
Qui es-tu? demanda soudain ce dernier.
—
Asuka Maekawa, je demeure toujours auprès d'Enzo Wallace pour assurer sa
protection au quotidien. Même tes camarades et toi n'avez pas connaissance de
mon rôle. C'est aussi pour cela que c'est à moi qu'a été confiée la seule fiole
d'essence permettant de te retrouver en dernier recours. Cela fait de moi
l'effet de surprise de GLOW, en quelque sorte.
—
Mais tu n'es…
—
Souviens-toi de Zahran Sun. Peu d'entre vous savent qu'il appartenait en fait à
la première génération d'élus. Il avait environ l'âge de Shui-Khan Liu
lorsqu'il a obtenu son don mais n'a jamais pu être recruté par GLOW. Moi, Inès
Zaghdoud, originaire du pays du Cèdre, suis son successeur dans l'acquisition
de la Floraison. J'espérais ne jamais avoir à le révéler mais je n'ai pas le
choix.
Asuka
ouvrit grand la bouche, sidéré. Même Sonia était persuadée que tous les élus de
leur génération avaient été identifiés. Enzo Wallace aurait gardé cette
information confidentielle juste pour conserver une botte secrète en cas de
crise?
—
T'es une élue!? Toi?
—
La dernière…
—
Le don de Floraison? Impossible! On m'a dit que Zahran avait le don de tout
couper à mains nues. Ça n'a aucun…
—
Une rose a plus d'un atout Maekawa.
Hugin
observait désormais Inès avec attention. La surprise initiale s'était estompée
en à peine quelques secondes. Asuka, lui, n'en revenait toujours pas. Cette
nouvelle avait presque occulté le dilemme qui lui avait été imposé un instant
plus tôt.
—
Ne me forcez pas à faire du mal à Hazuki, fit Hugin. Quelle est votre réponse
finale?
—
Maekawa, je ne suis pas habituée au terrain mais si tu m'assures ton soutien je
te jure sur l'honneur qu'il ne pourra pas approcher d'elle. Tout sera mis en
œuvre pour la préserver. Je n'ai pas de plan mais je sais que ne pourrai pas le
faire seule. Aie confiance en moi et en tes propres capacités. Nous n'avons pas
le choix
—
Tu peux vraiment…?
Elle
acquiesça. Son regard ne laissait pas de place au doute. Quelque chose en elle
rappelait la détermination qu'avait Rachel lorsqu'elle décidait de ne pas se
laisser dominer par la peur. En un sens, cela rassura Asuka. Elle avait raison,
il n'y avait pas de choix. Si les choses tournaient mal, il pourrait toujours
supplier Hugin de reconsidérer son offre. "Suis-je réellement en train de
mettre ma famille en danger? Suis-je devenu égoïste à ce point à force d'être
un élu?"
—
Hugin, je refuse de te livrer Sally ou de te laisser faire du mal à ma famille
sans avoir défendu l'honneur des élus, déclara-t-il finalement. Luttons jusqu'à
la mort. Ceci est ma voie du ninja…
Soudain,
deux longues baguettes noires glissèrent des manches de Hugin. Elles étaient
munies de pointes effilées à chacune de leurs extrémités, lesquelles avaient la
forme de losanges. Comme pour la lance de Munin, leurs surfaces étaient
décorées par des arabesques dorées. Hugin baissa les yeux après les avoir
saisies à pleines mains.
—
Evidemment, un sabreur…, pesta Asuka. Avec deux armes en plus. C'est l'ennemi
naturel d'Arthur mais il a fallu qu'il s'en prenne à moi.
—
Je n'aurais jamais sacrifié ma sœur pour une simple amie, déclara Hugin. Je ne
comprends pas ton choix. C'est regrettable…